PROUST Marcel
Lettre autographe signée adressée à René Peter : ""je leur souhaite toutes les voluptés depuis les plus hautes jusqu'aux plus grossières""
s.l. mardi (25 octobre 1904), 12,6x20,4cm, 12 pages sur 3 bifeuillets. | ""ceux que j'aime, je leur souhaite toutes les voluptés depuis les plus hautes jusqu'aux plus grossières"" | Lettre autographe signée de Marcel Proust, adressée à René Peter. Douze pages rédigées à l'encre noire sur trois bifeuillets de papier blanc bordé de noir. Déchirures aux extrémités le long des plis des bifeuillets, n'affectant pas le texte. Publiée dans Kolb, IV, n°168. Très longue lettre de Proust, pleine de sous-entendus, au dramaturge René Peter. Vantant le succès de ce dernier, Proust fait la sublime confession de sa propre vanité d'écrivain et de ses ambitions littéraires. Il laisse subtilement transparaître sa jalousie pour la maîtresse de Peter et déclare également sa dévotion absolue à Reynaldo Hahn. Il s'agit d'une des premières missives qu'il envoie à Peter, son ami d'enfance, après avoir récemment repris contact avec lui. *** Proust, éternellement accablé de maux, reste reclus et s'excuse d'avoir manqué la répétition de la nouvelle pièce de Peter, Le Chiffon. La comédie en trois actes de Peter sur une musique de Reynaldo Hahn, créée à l'Athénée le mois suivant, connaîtra un franc succès et une soixantaine de représentations avant la fin de l'année. Le jeune Proust se remet à l'opinion dithyrambique de Hahn qui avait assisté aux répétitions, et la missive se mue en une déclaration d'amour au compositeur et à son jugement impeccable : ""Reynaldo m'a dit que votre pièce était délicieuse et ravissante, ce qui n'est pas tout à fait la même chose, qu'il y avait ri et pleuré comme il ne rit et pleure jamais au théâtre et que la langue était exquise. Cela j'en étais certain. Mais ne connaissant rien de vous, je ne pouvais savoir si vous aviez le génie dramatique. J'en suis certain maintenant car si je ne connais pas de juge aussi sévère, aussi ridiculement sévère que Reynaldo, je n'en connais pas non plus qui ait plus de goût. De sorte que sa sévérité habituelle, sa perspicacité foncière, donnent à son enthousiasme une valeur très grande à mes yeux"". Dans un enchevêtrement caractéristique d'aveu et de déni, Proust cache à peine ses ambitions et sa quête de reconnaissance. Il appelle de tous ses vœux les mêmes lauriers qu'il place sur la tête de Peter : « votre pauvre et charmante mère qui comme tous ceux qui aiment et qui ont vécu, la vie meurtrissant toutes nos tendresses, a tant souffert, assiste à ce grand bonheur, à ces premiers rayons de la gloire sur votre front charmant, que Vauvenargues dit plus doux que le soleil levant. Je n'en parle que par citation, ne les ayant jamais connus moi-même ! » Il finira même par instiller sa vocation littéraire dans le parcours du narrateur de La Recherche, sa formation d'homme de lettres davantage marquée par les déceptions que par les « rayons de la gloire » tant attendus par Proust lui-même. Elle culmine cependant dans le Temps retrouvé par une épiphanie : le narrateur sait maintenant quoi écrire et, surtout, comment l'écrire. La lettre marque les débuts du trio Proust-Peter-Hahn dont la complicité était telle qu'ils formeront un vocabulaire spécial dont eux seuls avaient le secret. Le fleuve de mots de cette lettre illustre parfaitement cet indéniable lien entre désir et admiration intellectuelle : « Car je tiens aussi au succès, je suis extrêmement matériel dans mes vœux pour ceux que j'aime et je leur souhaite toutes les voluptés depuis les plus hautes jusqu'aux plus grossières ». Malgré ces démonstrations de générosité, l'écrivain ne peut cependant masquer une certaine jalousie envers Robert Danceny, fictif co-auteur du Chiffon qui n'était autre que la maîtresse de Peter, Mme Dansaërt. Proust lui fait élégamment mais explicitement référence : « Cela me rend heureux de penser que la charmante femme dont on m'assure que c'est elle qui se cache sous le nom masculin de votre collaborateur, sera de moitié dans votre œuvre. Je ne dis pas de votre succès, car collaboratrice ou non, elle eût toujours par le cœur partagé votre succès, ayant je crois pour vous une amitié profonde ». Typique d'un Proust transposant ses désirs à travers la fiction, l'écrivain formera dans les années suivantes divers scénarios dramatiques et morbides entre Peter et cette jeune femme : ""j'ai peur qu'une fois marié, sa femme ne prenne ombrage de Me Dansa[ë]rt, que lui-même ne s'éloigne d'elle et que celle-ci se tue"" écrit-il à Reynaldo Hahn en 1911. Proust ira même jusqu'à suspecter une liaison entre Peter et son secrétaire Robert Ulrich, qu'il reprochera violemment au dramaturge dans des lettres passionnées. Exceptionnelle lettre d'un Marcel Proust avant la légende et la gloire, qui aspire secrètement à la reconnaissance littéraire dont Peter jouit déjà grâce au succès de sa pièce de théâtre. Cette missive rassemble de grands protagonistes de la vie sentimentale tumultueuse et secrète de l'écrivain, qui nourriront plus tard les intrigues de la Recherche. - s.l. mardi (25 octobre 1904), 12,6x20,4cm, 12 pages sur 3 bifeuillets. [ENGLISH TRANSLATION FOLLOWS] ""Because I also want success, I am extremely material in my wishes for those I love and I wish them every pleasure from the highest to the crudest."" Tuesday (25 October 1904) | 12,6 x 20,4 cm | 12 pages on 3 bifolia Autograph letter signed by Marcel Proust, addressed to René Peter. Twelve pages written in black ink on three bifolia framed in black. Tears at the ends along the folds of the bifolia, not affecting the text. Published in Kolb, IV, n°168. *** A very long letter from Proust, full of innuendo, to the playwright René Peter. Praising Peter's success, Proust confesses to his own vanity as a writer and his literary ambitions. He subtly lets his jealousy for Peter's mistress shine through and declares his absolute devotion to Reynaldo Hahn. This is one of the first letters he sends to his childhood friend after recently reconnecting with him. Proust, eternally plagued by ailments, remains a recluse and apologizes for missing the rehearsal of Peter's new play, Le Chiffon. Peter's three-act comedy, with music by Reynaldo Hahn, premiered at the Athénée the following month and was a huge success, with around sixty performances before the end of the year. The young Proust relies on the glowing opinion of Hahn, who had attended the rehearsals, and the missive becomes a love letter for the composer and his impeccable judgment: ""Reynaldo told me that your play was delightful and ravishing, which is not quite the same thing, that he laughed and cried in it as he never laughs or cries in the theater and that the language was exquisite. Of that I was certain. But knowing nothing about you, I couldn't know if you had dramatic genius. I am certain of it now because even if I do not know a judge as severe, as ridiculously severe as Reynaldo, I also do not know one who has more taste, giving his enthusiasm very great value in my eyes."" In a characteristic tangle of confession and denial, Proust barely hides his ambitions and his quest for recognition. He hopes and prays for the same laurels he places on Peter's head: ""Your poor and charming mother who, like all those who love and who have lived, life bruising all our tenderness, has suffered so much, is witnessing this great happiness, these first rays of glory on your charming forehead, which Vauvenargues says softer as the rising sun. I only speak of them in quotations, having never known them myself!"" He will even end up instilling his own literary vocation into the fictional life of the narrator of In Search of Lost Time - although the narrator's journey as a man of letters is more marked by disappointments than ""rays of glory"" so long awaited by Proust himself. However, it culminates in Time Regained with an epiphany: the narrator now knows what to write and, above all, how to write it. The letter marks the beginnings of the Proust-Peter-Hahn trio whose complicity was such that they formed a special vocabulary of which only they had the secret. The river of words in this letter perfectly illustrates the undeniable link between desire and intellectual admiration: ""Because I also want success, I am extremely material in my wishes for those I love and I wish them every pleasure from the highest to the crudest."" Despite these displays of generosity, the writer cannot, however, mask a certain jealousy towards Robert Danceny, the fictional co-author of Le Chiffon who was none other than Peter's mistress, Mme Dansaërt. Proust elegantly but explicitly refers to her: ""It makes me happy to think that the charming woman who, I am assured, is hiding under the male name of your collaborator, shares half of your work. I am not talking about your success, because whether she worked with you or not, she would always have shared your success with her heart, having, I believe, a deep friendship for you."" Typical of a Proust transposing his desires through fiction, the writer will form various dramatic and morbid scenarios between Peter and this young woman in the following years: ""I'm afraid that once married, his wife will take offence at Mrs Dansa[ë]rt, that he will distance himself from her and that she will kill herself"", he wrote to Reynaldo Hahn in 1911. Proust even went so far as to suspect an affair between Peter and his secretary Robert Ulrich, to which he violently reproached the playwright in passionate letters. Exceptional letter from an aspiring Marcel Proust secretly yearning for the kind of literary recognition that Peter already enjoys thanks to the success of his play. This missive brings together major protagonists from the writer's tumultuous and secret emotional life, who will later feed the intrigues of In Search of Lost Time.
Librairie Le Feu Follet
Professional sellerBook number: 84876
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