Author: SADE Donatien Alphonse François, Marquis de Title: Lettre autographe à sa femme. Souffrance et philosophie : « si l'on pouvait lire au fond de mon cœur, voir tout ce qu'elle y opère cette conduite-là, je crois qu'on renoncerait à l'employer ! »
Description: S.n., s.l. 17 août 1780, 10x16cm, 2 pages sur un feuillet. | « Qu'on punisse tant qu'on voudra, mais qu'on ne me tue pas : je ne l'ai pas mérité [...] Ah ! si l'on pouvait lire au fond de mon cœur, voir tout ce qu'elle y opère cette conduite-là, je crois qu'on renoncerait à l'employer ! » |
* Lettre autographe du Marquis de Sade adressée à sa femme. Un feuillet recto verso rédigé d'une écriture fine et serrée. Elle porte en tête la date partielle « ce jeudi 17 ». Deux infimes traces de pliures. La fin de la lettre a été mutilée à l'époque, probablement par l'administration carcérale qui détruisait les passages licencieux de la correspondance du Marquis. Ainsi, quelques mois plus tard, en mars 1781 sa femme lui écrit : « Tu devrais bien, mon tendre ami, réformer ton style pour que tes lettres puissent me parvenir dans leur entier. Si tu dis des vérités, cela offense, aigrit contre toi. Si tu dis des faussetés, on dit : voilà un homme incorrigible, toujours avec la même tête qui fermente, ingrat, faux, etc. Dans tous les cas, ton style ne peut que te nuire. Ainsi réforme-le. ». La lettre été retrouvée telle quelle lors de l'ouverture en 1948 de la malle du Marquis conservée scellée par la famille depuis 1814 et est publiée sous cette forme amputée dans la correspondance du Marquis de Sade. Provenance : archives de la famille. Cette lettre a été rédigée le 17 août 1780, durant l'incarcération du Marquis à la prison de Vincennes. Suite à une énième altercation avec son geôlier, les promenades lui sont interdites depuis le 27 juin et ne lui seront rendues que le 9 mars de l'année suivante. La suppression des sorties affecte très fortement la santé physique et mentale du Marquis qui ne cesse de réclamer à Renée-Pélagie leur rapide rétablissement : « Je vous demande avec la plus vive instance de me faire prendre l'air : je n'y peux plus absolument tenir. » Les souffrances engendrées par ces privations sont prétexte à la mise en place d'une mécanique de culpabilité et de chantage avec sa femme : « Voilà trois jours que j'ai eu des étourdissements affreux, avec le sang qui me porte à la tête à un tel point que je ne sais comment je ne suis pas tombé sur le carreau. Quelqu'un de ces jours, on m'y trouvera mort, et vous en serez responsable, après vous avoir averti comme je le fais et vous avoir demandé les secours dont j'ai besoin pour y obvier. » Le Marquis fait ici intentionnellement jouer la corde sensible de Renée-Pélagie, mettant à rude épreuve ses valeurs chrétiennes et lui assignant le rôle de grande inquisitrice : « Vous pouvez me faire accorder ce que je demande, tout en conservant à votre signal la même force ». On observe, comme dans la lettre de Tancrède, une nouvelle apparition du « signal », qui recouvre ici une toute autre sémantique encore. Composante essentielle de la pensée carcérale du Marquis, ce langage codé comme les interprétations fantasmées des lettres de ses correspondants, alimentent les hypothèses des chercheurs, philosophes, mathématiciens... et poètes biographes. Ainsi Gilbert Lely estime que, loin d'être le symptôme d'une psychose, le recours aux signaux est une « réaction de défense de son psychisme, une lutte inconsciente contre le désespoir où sa raison aurait pu sombrer, sans le secours d'un tel dérivatif ». Absentes de la correspondance durant ses onze années de liberté, ces strates sémantiques sibyllines, « véritable défi à la perspicacité sémiologique » (Lever p.637), réapparaitront dans son journal de Charenton. Cette lettre est d'ailleurs l'occasion pour le Marquis de déployer son panel rhétorique, faisant s'affronter au sein d'une même phrase les antonymes sadiques. « Plaisir » rime ainsi avec « abominable », « cimetière » et « jardin » se superposent, « je souffre » se conjugue comme « je jouis » et la « douceur » côtoie la « noirceur ». La pratique maîtrisée de cet exercice d'éloquence épouse le fond de la pensée sadienne : la souffrance et le plaisir sont intimement mêlés, simultanément subis, infligés et désirés. On entrevoit au travers de ces associations le manichéisme perméable de la pensée philosophique du Marquis, qui atteint son paroxysme à la fin de la lettre, parfaitement perceptible en dépit de son amputation : « Oui je conçois le mal, et je conçois qu'on le fasse ; c'est une perversité de l'homme inévitable à sa nature ; mais je ne conçois que, quand quelque plaisir... ». Or le statut de martyr du Marquis est une véritable mise à l'épreuve de la philosophie de Sade qui légitime la souffrance d'autrui au nom d'une jouissance égoïste. En réalité, malgré la « méchanceté noire » du « sublime arrangement » qu'il subit, Sade loin de renier sa philosophie en l'éprouvant, ne réclame pas une part de plaisir indue, mais la simple considération d'un « besoin extrême ». « Bien loin de demander des plaisirs », le prisonnier justifie au contraire, par une longue argumentation l'absence de satisfaction attendue : « On n'a qu'à m'accorder qu'une demi-heure et seulement trois ou quatre fois par semaine, aussi longtemps que j'aurais dû être sans en avoir, et je vous proteste que je compterai tout ce temps-là, c'est-à-dire depuis l'époque où elles m'ont été ôtées, et tout le temps qu'elles me le seront accordées qu'une demi-heure, que je compterai, dis-je, tout cet intervalle-là comme n'ayant pas dû y aller du tout. » Aussi, cette démonstration alambiquée est-elle capitale pour comprendre la psychologie du Marquis. Sous le joug de ses geôliers - et de sa femme - il se constitue victime consentante, ne réclamant que « les secours » élémentaires : « Soyez bien sûre que je ne demande qu'absolument ce qui m'est nécessaire, et que je souffre mille fois plus d'être obligé de demander que je ne jouis de ce qu'on m'accorde ». La lettre dévoile ainsi une composante aussi essentielle que méconnue de la personnalité du Marquis. Il ne se contente pas- à l'instar des personnages sadiques de ses romans - d'être l'instigateur du vice, mais endosse tout aussi bien la position de la victime à laquelle ne doit être accordée que le droit - et les moyens - de vivre : « Qu'on punisse tant qu'on voudra, mais qu'on ne me tue pas : je ne l'ai pas mérité. » Cette réclamation est à mettre en parallèle avec ses romans à venir, dans lesquels les personnages vulnérables, victimes des tortures les plus inqualifiables, connaissent toujours un bref moment de répit durant lequel leurs bourreaux suspendent leur châtiment. Ces interruptions prennent la forme d'entractes philosophiques, au cours desquels les tortionnaires se font les porte étendards des idées sadiennes. Ce n'est donc pas le Sade persécuteur mais bien un captif blessé qui puisera au cœur de sa souffrance carcérale pour fomenter les châtiments des 120 journées de Sodome, comme en témoigne cette fantastique confession prémonitoire : « Ah ! si l'on pouvait lire au fond de mon cœur, voir tout ce qu'elle y opère cette conduite-là, je crois qu'on renoncerait à l'employer ! » - S.n., s.l. 17 août 1780, 10x16cm, 2 pages sur un feuillet. [ENGLISH TRANSLATION FOLLOWS] Handwritten letter to his wife. Sufferance and philosophy: ""Punish as much as you like, but do not kill me: I did not deserve it [...] Ah! If you could read to the bottom of my heart, see everything that happens there, I think you would give up using it!"" August 17, 1780, 10 x 16 cm, loose leaves Handwritten letter from the Marquis de Sade addressed to his wife. One recto-verso leaf written in fine, tight writing. It has the partial date at the top ""ce jeudi 17"" ""this Thursday 17th."" Two slight signs of folding. The end of the letter was mutilated at the time, probably by the prison administration which destroyed the Marquis' licentious correspondence. So, several months later, in March 1781 his wife wrote to him: ""My dear, you really must change your style so that your letters can reach me whole. If you give the truth, it offends, turns against you. If you give any untruths, they say: this is an incorrigible man, always with the same head that ferments, ungrateful, false etc. In any case, your style can only harm you. So change it."" The letter was found as it was when, in 1948, the Marquis' trunk, that had been sealed by the family since 1814, was open and it was published in this reduced form in the correspondence of the Marquis de Sade. Provenance: family archives. This letter was written on 17 August 1780, during the Marquis' incarceration in Vincennes Prison. Following the umpteenth altercation with the prison guard, the right to go for a walk was taken away from him on 27 June and was not reinstated until 9 March the following year. The Marquis' physical and mental health is strongly affected by not being able to go out and he constantly begs Renée-Pélagie for the right to be quickly reinstated: ""I urge you to let me get some fresh air: I absolutely cannot take it any longer."" The suffering caused by these deprivations is a pretext for setting up a mechanism of guilt and blackmail with his wife: ""There, three days that I have felt an awful dizziness, with blood rushing to my head so much so that I do not know how I have not fainted. One of these days, they will find me dead and you will be responsible, after having warned you as I do and having asked you for the help which I need to avoid it."" Here, the Marquis is intentionally pulling on Renée-Pélagie's heartstrings, really putting her Christian values to the test and giving her the role of grand inquisitor: ""You can grant me what I ask for, whilst keeping, on your signal, the same strength."" We note, as in Tancrède's letter, a new appearance of ""signal,"" which masks completely different semantics. An essential component of the Marquis' prison mindset, this encoded language, like the fantasised interpretations of his correspondents' letters, feeds the theories of researchers, philosophers, mathematicians... and poet biographers. As such, Gilbert Lely estimates that, far from being symptomatic of psychosis, the return to signals is ""his psyche's defence reaction, a subconscious struggle against despair where, without the help of such a distraction, his motivation could have declined."" Missing from his correspondence during his eleven years of freedom, these enigmatic semantic depths, ""a real challenge to semiological judgement"" (Lever p.637), reappear in his Charenton diary. This letter is also an opportunity for the Marquis to deploy his rhetorical panel, confronting the sadistic antonyms in the same sentence. ""Pleasure"" is synonymous with ""abominable"" ""revolting,"" ""cemetery""and ""garden"" are superimposed, ""I suffer"" is conjugated as ""I enjoy"" and ""softness"" stands alongside ""darkness."" The mastered practice of this eloquence exercise is united with the depths of Sadian thought: sufferance and pleasure are closely mixed, simultaneously endured, inflicted and desired. Through these associations, we glimpse the sensitive Manicheism of the Marquis's philosophical thought, which reaches its climax at the end of the letter, perfectly clear despite having a part missing: ""Yes, I perceive evil, and I perceive that it is done; it is an inevitable perversity of man; but I only perceive when some pleasure..."" Yet the Marquis's status as a martyr is a real test of Sade's philosophy that justifies the suffering of others in the name of selfish pleasure. In reality, despite the ""black wickedness"" of the ""sublime arrangement"" ""sublime arrangement"" to which he is subjected, Sade, far from denying his philosophy by experiencing it, does not claim a single part of the unwarranted pleasure, but the mere consideration of an ""extreme need."" ""Far from asking for pleasures,"" on the contrary, the prisoner justifies the lack of expected satisfaction through a lengthily argument: ""They only have to grant me a half hour and only three or four times per week, such a long time that I should have to be without it. I tell you that I will count all of this time, that is to say, the time since it was taken away from me and all the time when I only had half an hour, I will count, I tell you, all of this time as not having to go out at all."" Also, this convoluted demonstration is essential to understand the Marquis's behaviour. At the hands of his jailers - and his wife - he makes himself a willing victim, only asking for ""basic help"": ""Be sure that I am only asking for what is absolutely necessary and that I am suffering a thousand times more for having to ask than I enjoy what is granted to me."" The letter uncovers an element as essential as it is unknown about the Marquis's personality. He is not content - following the example of the Sadian characters in his novels - to be the instigator of the defect, but he takes on the position of the victim to whom only the right - and the means - to live must be granted: ""Punish as much as you like, but do not kill me: I did not deserve it"". This demand is to be compared with his future novels, in which the vulnerable characters, victims of the most unspeakable tortures, are always granted a brief moment of respite during which their executioners suspend their punishment. These interruptions take the form of philosophical intervals, during which the torturers are the standard-bearers of Sadian ideas. Therefore, it is not the Sade persecutor but a wounded captive who will draw on the heart of his prison sufferance to incite the punishments of the 120 Days of Sodom, as evidenced by this fantastic premonitory confession: ""Ah! If you could read to the bottom of my heart, see everything that happens there, I think you would give up using it!""
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Price: EUR 11800.00 = appr. US$ 12824.79 Seller: Librairie Le Feu Follet
- Book number: 59110
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